Marie-Hélène Le Ny

La Traversée des apparences
travail initié en 1997

 photographe






 
      La ville n'est pas réellement une entité, plutôt une juxtaposition et une stratification d'éléments différents et parfois contradictoires. Notre perception de l'espace urbain est éminemment culturelle et dépendante des outils qui nous permettent d'appréhender le monde (maîtrise - ou non, de la langue, histoire familiale et sociale, éducation, croyances, mobilité, âge, sexe...).
Marais et Muybridge ont cherché à décomposer le mouvement, à percer les secrets de la locomotion humaine et animale, dans des images où la dimension esthétique l'emporte parfois sur l'aspect documentaire et l'intérêt scientifique. Duchamp s'en est inspiré dans son nu descendant l'escalier, et nombreux sont les artistes qui se sont faits les chantres de la vitesse qui symbolisait la vie moderne au début du siècle dernier. Pour ma part, j'ai cherché à recomposer le mouvement perpétuel qui agite la ville en superposant des éléments temporels consécutifs, jouant de la transparence du film qui permet cette "traversée des apparences". Je redistribue à ma guise l'espace à ceux qui l'ont traversé, télescopant les trajectoires, forçant les rencontres et fabriquant des strates si minces et perméables les unes aux autres que l'espace et le bâti immobiles se chargent d'une densité et d'une présence contrastant avec l'aspect diaphane qui caractérise le passage des êtres en mouvement. Atget faisait en sorte qu'ils disparaissent au profit de la permanence de la ville, je les convoque au contraire pour ralentir l'évanouissement de la vie dans l'espace et le temps qui échappent encore et toujours à leur maîtrise. Je ne souhaite pas que leurs formes se dissolvent, mais qu'elles inscrivent une légèreté immanente qui s'oppose au poids des corps. Dans l'image perçue, à la fois fixe et mouvante, le regard flotte comme dans un rêve, une image mentale, tout lui semblant à la fois si familier et pourtant si différent...Comme dans un film où s'allongerait sur la rétine la persistance des images, se recouvrant les unes les autres, sans pour autant se masquer !