marie-hélène le ny

  Provisoirement définitif

 photographiste






note d'intention


Je m'intéresse depuis plusieurs années aux conséquences de la mutation des comportements alimentaires et à ses épiphénomènes à l'échelle mondiale. La culture, l'élevage, la préparation, la conservation et le partage de la nourriture ont conditionné les rapports humains pendant des siècles, façonnant les corps et ses représentations, les religions, les mythes et bon nombre de croyances populaires. L'homme était ce qu'il mangeait : un chasseur, un cueilleur, un cultivateur… Aujourd'hui, le citadin occidentalisé est d'abord un consommateur, se déchargeant de plus en plus des questions liées à sa nourriture sur l'industrie, le marketing et la publicité. Il sacrifie l'élément essentiel de sa survie et de son bien-être physique au rendement et au profit. Il perd la notion de ce qui est sain pour son corps et nécessaire à ses équilibres vitaux. Il laisse les marchés viser l'uniformisation des comportements par la mondialisation d'une consommation normative, calibrée et industrialisée, au détriment des traditions locales de production et d'alimentation. Cela génère des déséquilibres alimentaires, en qualité et en quantité, et l'on voit se développer des pathologies graves et endémiques liées à des comportements aberrants : anorexie, boulimie, allergies, obésité…
J'ai décidé d'associer les angles de vues sur ces questions, photographiant non seulement les personnes mais aussi leurs cuisines, frigos, sources d'approvisionnement, ainsi que la filière de production alimentaire et les injonctions médiatiques qui nous incitent en permanence à manger, toujours un peu plus…


Le rapport de chaque individu à son corps est indissociable de son rapport à la nourriture, l'un modelant l'autre en permanence, influencé souvent par la pression sociale de plus en plus forte, surtout pour les femmes. La question de l'image devenant essentielle pour beaucoup, il est important de faire correspondre l'image que l'on a de soi, celle que l'on souhaite donner et celle que les autres nous renvoient. Le plus souvent, le point de comparaison est la norme véhiculée par les médias : il faut être jeune, beau, bien fait et en bonne santé. Sans vraiment la remettre en cause, on cherchera par tous les moyens à s'en rapprocher : régimes en tous genres, substituts et compléments alimentaires, médicaments, chirurgie esthétique, body-building, absorption d'hormones et manipulations génétiques connaissent un développement sans précédent…
En fonction de ses origines, de sa culture et de sa personnalité, chacun s'invente le comportement alimentaire qu'il peut, source d'équilibre ou d'angoisses sans fin.

L'être, l'apparaître et le faire ne sont plus étroitement liés mais pris en charge séparément par la science, la médecine et la technologie qui en arrivent à considérer le corps non pas comme le siège de l'individualité, mais plutôt comme une machine interchangeable à manipuler génétiquement, remodeler plastiquement, perfectionner et prolonger grâce à
" l'intelligence artificielle ", une enveloppe contraignante et malcommode dont il serait souhaitable de se débarrasser pour n'être plus que des machines parfaites ou de purs esprits.

Dans ce projet initié en 2001 à Sherbrooke, au Québec, et poursuivi dans le bassin minier, j'ai photographié des personnes aux comportements différents et parfois pathologiques : hommes, femmes, enfants - tous âges confondus, sollicitant ruraux et citadins. A cet égard la diversité du bassin minier où j'ai travaillé dans le cadre de l'exposition de Sallaumines, est très intéressante car on y rencontre des populations d'origines différentes conservant des traditions alimentaires exogènes associées à celles de la région. Ce projet a ensuite été enrichi dans d'autres régions françaises...