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J'ai
le sentiment qu'une scission s'opère depuis quelques années
au sein de ce qu'on appelait " la photographie créative",
"la photographie de création" , "l'art
photographique" ou je ne sais quelle autre appellation.
Enfin d'une façon générale, parmi les oeuvres
des artistes photographes, de ceux qui prétendaient à
la création et non à l'illustration.
L'histoire de la photographie a déjà fait l'objet
de plusieurs ouvrages de référence. Nous connaissons
son parcours - ses grandes étapes et ses principaux acteurs.
Aujourd'hui, comme de tous temps et quelque soit le champ d'investigation,
il existe des chercheurs et des suiveurs. Les suiveurs seraient
les amoureux de l'image argentique, le plus souvent en N/B, se
répandant d'admiration pour la profondeur des noirs et
les subtilités des demi-teintes, reprenant les techniques
éprouvées par les grands maîtres, voire même
les anciens procédés tels le tirage au platine,
la gomme bichromatée, etc... Ces suiveurs sont tellement
fascinés par leur technique qu'ils confondent savoir faire
et création. Peut-être n'ont -ils tout simplement
rien d'autre à dire...
Les chercheurs, eux, connaissent éventuellement les richesses
de la technique photographique et savent l'utiliser, mais peuvent
aussi l'ignorer, se contentant de créer leur univers,
laissant aux laboratoires le soin de réaliser les épreuves
en adéquation avec leur imaginaire.
Je ne veux pas porter de jugement sur telle ou telle pratique,
mais je me pose la question de la prolongation de l'histoire
de la photographie. Celle-ci a atteint l'âge adulte et
rejoint les autres outils de la création. L'histoire de
la photographie deviendrait l'équivalent d'une histoire
de l'aquarelle, de la gravure ou de la fresque... Elle aurait
cru un moment à une sorte d'indépendance et aujourd'hui,
viendrait rejoindre l'histoire de l'art. Nous sommes donc dans
une période très riche, où la photographie
devient un espace de création actuel, largement utilisé
et qui a su oublier -ses maniérismes, même s'ils
sont encore souvent pratiqués. A nous de faire le tri
dans ces trop nombreuses propositions.
Marie-Hélène
Le Ny utilise la photographie, mais je ne crois pas que l'appellation
de photographe lui convienne forcément. Elle est sans
nul doute du côté des chercheurs. Elle a étudié
aux beaux-arts de Rouen et appris ce qu'est une recherche plastique.
Le contact des artistes et de leurs oeuvres l'a mise à
l'écoute de la création. Elle est également
sensible aux évolutions et aux problèmes de notre
époque, attentive aux modifications des rapports humains
et au maintien de leur qualité. Ce qui est remarquable
dans chacun de ses travaux, c'est qu'elle a toujours su faire
la synthèse de l'ensemble de ces éléments,
afin d'obtenir une oeuvre forte plastiquement, esthétiquement
et humainement.
Je rappellerai les séries précédentes sur
les Portraits de familles, la Cité de refuge de l'Armée
du Salut et enfin Mémoire d'avenir, remarquable travail
sur la région Nord - Pas de Calais, son histoire et ses
hommes. Tous ces travaux s'élaborant avec des contacts
humains, des échanges, et aboutissant à une mise
en forme très réfléchie et travaillée.
Avec sa dernière série Mes petits morceaux de madeleines
Marie-Hélène Le Ny se penche sur son histoire pour
nous faire partager sa "mythologie personnelle concernant
les odeurs et les saveurs". De courts textes nous renvoient
à nos propres souvenirs, à tout ce que peuvent
véhiculer les aliments comme attirances ou répulsions.
Les associations avec les images sont particulièrement
réussies grâce à une représentation
schématisée. (Les objets pourtant très réalistes
ne sont que suggérés par une vue frontale, comme
vue du dessus de notre assiette.) Nous sommes loin de la photographie
publicitaire, l'ensemble textes-images très graphique
s'associant pour donner une image globale équilibrée.
Les couleurs viennent s'ajouter aux évocations olfactives
et gustatives dans un ensemble très homogène où
formes , couleurs et textes nous renvoient à nos souvenirs
d'enfance, qui sont parfois encore très vifs, et auxquels
s'ajoute aujourd'hui un plaisir visuel évident.
Jean-Pierre
LAMBERT |