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Avant de savoir lire, écrire, ou réfléchir,
on aime, on jouit,
on
souffre au sein d'une relation à autrui. Je me suis construite
dans cette relation
à l'autre dès ma petite enfance. J'en ai retiré
l'idée que le bonheur et l'amour sont la condition humaine
naturelle - même si elle doit être l'objet d'une
construction. Le destin de toute communauté n'est pas
d'être dans la souffrance. Avec un optimisme fondamental
pour l'avenir, j'ai toujours mené des luttes pour une
humanité meilleure, ne cessant de fustiger toutes les
formes de barbarie. Ayant beaucoup souffert d'avoir été
accusée injustement à l'école d'une faute
que je n'avais pas commise, j'ai développé un sentiment
de révolte contre l'injustice qui m'a habité toute
ma vie. J'éprouvais une empathie naturelle avec ceux que
j'appelle les damnés de la terre - les femmes, les pauvres,
les colonisés. Elle a guidé ma résistance
à l'injustice et à la violence, et le choix de
mes recherches au CNRS pendant 35 ans.
Ma
première recherche a porté sur les travailleurs
algériens
en France. Je suis allée vivre à Montreuil, où
des Algériens vivaient dans des hôtels meublés
sordides. Missionnée par le CNRS, je me suis rendue dans
les campagnes reculées d'Algérie pour mieux comprendre
leurs trajectoires. En 1956, j'ai écrit un livre dans
lequel je décrivais leur situation, proche du sort des
ouvriers français au 19e siècle. Révoltée
contre les lois discriminatoires à l'égard des
femmes - dont le code Napoléon - j'ai commencé
à faire des recherches sur le sort des femmes, publiant
un Que sais-je ? sur le féminisme en 1979. Préoccupée
des conséquences des alliances militaro-industrielles,
j'ai milité toute ma vie pour réconcilier féminisme
et antimilitarisme. Dans Surarmement, pouvoir, démocratie,
j'ai développé la façon dont le système
patriarcal utilise les notions de sécurité et de
défense nationale, et la production et les ventes darmes,
pour opprimer les peuples, en particulier les femmes. » |
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